Embrun 2003
Quelques mots au préalable : préparez-vous, c’est long, vous allez en avoir pour votre argent... Remarquez, au prix où vous payez, est-ce bien raisonnable de ma part d’en faire autant ?... !
Bon, eh bien, allons-y, vous l'aurez voulu :
Tout d’abord, voir les motivations, relatées dans « Mon histoire », qui m’ont amenées ce fameux 15 août 2003, à être à 6h au pied du plan d’eau, « seul au monde » au départ de mon 1er EmbrunMan… Bien sûr, comme souvent, c’est un défi personnel, se dire : si d’autres le font, pourquoi pas moi ?
Pour info et précisions, en matière de dernière préparation, je m’étais organisé, deux semaines avant, un week-end au Lac Chambon à Murol dans le Massif Central, une sorte de triathlon montagneux très longues distances, en solo. Là, dès le matin, j’avais nagé 1h30 puis, aussitôt après, j’étais parti faire environ 160 bornes à vélo, tout autour du Sancy, avec toutes les ascensions et cols possibles (Et y’a de quoi faire, croyez-moi ! J’y reviendrai d’ailleurs régulièrement tous les ans pour me préparer, terrain de jeu idéal !). Une fois le vélo posé au retour, course à pied d’environ 20 km avec notamment une longue portion en réelle montée, les 2 premiers km du Col de La Croix Morand. Le surlendemain, de retour à la maison, une nouvelle sortie course à pied de 30 km. À la suite de tout ça, à à peine 15 jours d’Embrun, j’avais tout coupé, me contentant de nager, faire quelques toutes petites sorties vélo et footings, sans forcer du tout… Faire un maximum de jus, d’affûtage, comme on dit dans le jargon.
Auparavant, j’étais déjà venu ici (Embrun) en juin, à l’occasion d’une semaine de vacances spécialement dédiée à ça (Puis Nice dans la foulée) pour repérer les lieux et bien sûr faire le parcours vélo et une boucle de celui de course à pied. Au retour du parcours vélo, je m’étais d’ailleurs dit : waouuuuuh, comment partir courir un marathon (exigeant, en plus) derrière ça ?... Ou, tout l’art de se rassurer mettre la pression…
Mille fois (au moins) dans ma tête, je m’étais imprégné mentalement de cette journée du 15 août à venir, en mode « sophro »… Mille fois j’avais sorti ma calculette pour vérifier mes temps potentiels en natation, en vélo, en course à pied, en pensant aux barrières horaires éliminatoires : natation, haut de l’Izoard, départ marathon, semi-marathon… La hantise d’être hors délais, de me faire retirer mon dossard… Je m’étais dit d’ailleurs : si c’est sur le marathon, tant pis, je finirai quand même, même sans chrono à l’arrivée, aucune importance.
Pour autant, sans être bon nulle part, j’arrivais facilement lors de ma préparation à tenir des allures qui, sauf pépin(s), me permettraient d’assurer le bon déroulement de cette journée.
J’étais donc arrivé (avec le VW T3 de mes parents) à Embrun 3 jours avant « the D day », au camping municipal de La Clapière, c’est-à-dire au bord du plan d’eau, sur le site même. Donc, pas de soucis de logistique, c’était pour moi un impératif, d’autant que seul, pour une première fois, ne connaissant personne dans le milieu (Ça a bien changé depuis !), ça me paraissait indispensable.
Sur mon emplacement de camping, étant donné l’affluence en cette période, il m’a été demandé de partager celui-ci avec deux autres triathlètes, ok, pas de problème, bien au contraire. On a pu discuter un peu, eux, ils connaissaient visiblement l’épreuve par cœur, et c’est en consultant leurs classements et leurs palmarès plus tard, que j’ai vu qu’un des deux concourait en élite et l’autre, s’était déjà qualifié plusieurs fois pour le mythique Hawaii ! Je retrouverai d’ailleurs l’un deux à Nice un mois plus tard, avec son père avec qui j’avais sympathisé. J’ai sacrément dû leur paraître comme un touriste, moi à côté !
2003, c’est l’année de la fameuse canicule. Il fait encore très chaud mais heureusement, ça touche à sa fin en cette mi-août, des orages sont même annoncés…
L’avant-veille, retrait des dossards, c’est ma première grosse expérience sur une épreuve d’une telle envergure… Je vérifie tout cent mille fois pour être certain de ne rien oublier… Dépôt des vélos dans le parc la veille, là, déjà, tu comprends que tu y es… ! Une « bonne » nuit avant la course et dès 5h du matin, je suis dans le parc à vélos afin de me préparer. Là, franchement, seul comme je l’étais pour cette première expérience, à la lumière des projecteurs qui éclairent le parc… Ben, ça fout les chocottes… Y’a vraiment une ambiance, une atmosphère particulière, comme religieuse, parfois aussi un silence assourdissant… Mais bon, compte tenu de ma joie de vivre habituelle, je plaisante avec mes voisins, qu’est-ce qu’on (je) ne ferait pas pour se rassurer soi-même ?...
La sono commence à faire claquer les décibels, les speakers donnent de la voix, tout commence à chauffer ! J’enfile ma combinaison, un banal « shorty » Tribord de chez Décathlon, rappelez-vous, je n’avais prévu que pour cette année 2003 ! Je dois être le seul sans « vraie » combi… Peu importe, c’est plus tard que je m’en rendrai compte… Tic, tac, tic, tac… 5h55… Les féminines partent… Puis… 6h… La corne retentit… Cette fois, c’est nous, c’est MOI !
Je me revois encore courir au milieu des quelque mille autres pingouins, entrant dans l’eau en me disant, cette fois, tu y es, depuis le temps que tu attends ce moment, c’est parti et bien parti !
Hélas, au bout de 50 mètres de crawl, je suis déjà complètement « explosé », je n’arrive plus à respirer… Je passe en brasse pour reprendre mon souffle et surtout mes esprits… Au bout d’un petit moment, ça va mieux, je me mets (enfin) à respirer « normalement », je relâche toute la tension que je viens d’accumuler et part sur un rythme serein, alternant crawl et brasse, à ma cadence, oubliant tout le reste et ceux qui m’entourent. Le cadre est magnifique, je vois au loin les lumières des canoés qui guident les premiers dans la pénombre, j’entends les spectateurs crier sur les berges, le jour se lève peu à peu, je rattrape quelques mauvais « crawleurs » avec ma bonne brasse bien coulée et souple, j’entame mon deuxième tour, chouette, je ne me suis pas fait doubler par les premiers, je suis bien, je ne force pas et je sors tranquillement de l’eau en 1h28 (pour 3,8km)… Pas terrible bien sûr, mais très largement dans les temps éliminatoires et pas fatigué du tout, c’était mon premier objectif, acte 1 : gagné !
Transition normale, je prends mon temps quand même (6’20), je savoure la joie qui m’est donnée d’être là. Vu la température et les prévisions météo, je décide de partir avec mon seul singlet, sans aucun vêtement « chaud ». Sur mon vélo, j’ai scotché mes barres énergétiques habituelles sur le cadre et les haubans, quelques pâtes de fruits dans ma sacoche-box, mon bidon de boisson énergétique habituelle est plein, de quoi rouler en autonomie si les ravitaillements ne sont pas suffisants.
Dès le départ, ça grimpe sacrément pour rejoindre la route des puits, première ascension jusqu’au niveau du bas de la station de ski de Réallon, dénivelé d’environ 400m. Ensuite, c’est la grande descente, sinueuse par endroits, qui me ramène au bord du lac de Serre Ponçon que l’on traverse par le pont de Savines. Le paysage est superbe depuis le départ, la vue sur le lac depuis les hauteurs avec le soleil qui commence à inonder le tout, c’est du grand spectacle. Retour sur Embrun pour cette première boucle.
La deuxième difficulté est maintenant le prochain objectif : le mythique col d’Izoard. Je suis le parcours (encore heureux !), la petite route qui grimpe et descend sans cesse, avant de rejoindre la route principale (Gap-Briançon) qui me mène à Mont Dauphin, Guillestre, puis la Maison du Roy et les gorges du Guil, c’est magnifique. Depuis le départ, je suis bien, je tourne les jambes convenablement, je ne force (surtout) pas, je gère et je sais que je suis « dans les temps ». Juste avant Château Queyras, à gauche toute, c’est là que l’ascension débute réellement. C’est d’abord une bonne pente régulière dans la large vallée verdoyante d’Arvieux puis Brunissard où là, juste avant d’attaquer les lacets dans la forêt, c’est franchement très très dur. La pente avoisine les 10 à 11% pendant une interminable ligne droite. Scotché sur le bitume à 9 - 10 à l’heure… Mais bon, pas surpris, je le savais…
Quelques kilomètres plus haut, je bascule dans la petite descente qui amène à la célèbre « Casse déserte ». C’est lunaire, ce paysage vu et revu dans tous les reportages, sur les cartes postales, lors des passages du Tour de France, etc. Quelques lacets plus haut et me voici (déjà) arrivé au col d’Izoard (2360m). Il pleut légèrement depuis un petit moment mais rien de dérangeant. Je décide de basculer directement dans la descente, sans m’arrêter, juste je me dis : c’est bien, tu es passé au sommet là encore bien avant les barrières éliminatoires, donc, une bonne partie est faite, alors surtout, vu que la route est mouillée, prudence, prudence, ça glisse, ce serait trop con que tu te plantes maintenant.
Je fais donc cette descente très très prudemment, d'autant que comme je ne me suis pas couvert, je commence à grelotter... Plus bas, ouf, il ne pleut plus, je m’alimente et je bois au maximum, c’est le moment, d’autant qu’après Cervières, la pente est nettement moins forte, ça remonte même un poil à un moment… Une fois de plus, je savoure, je suis heureux !
Pour autant, je sais que les quelque 60 km qu’il reste pour revenir après Briançon sont réputés très difficiles. Effectivement, vent de face, c’est toujours le cas, phénomène météo bien connu là-bas en été. Après avoir traversé Briançon et une petite dizaine de km de plat, dès le village de Prelles, je quitte la route principale pour grimper Aux Vigneaux, belle ascension de plusieurs km… Descente vers L’Argentière la Bessée puis ensuite, c’est le fameux mur « Pallon- Champcella ». Là, c’est 2 km, guère plus, mais c’est, du bas en haut en permanence à 10 – 11 – 12 voire 13%. Autant dire que ça scotche pas mal de monde, moi y compris bien sûr, je n’avance pas à plus de 8 – 9 à l’heure… ! Certains sont carrément à pied ici… Après la descente, c’est le retour vers St Clément sur Durance pour reprendre le parcours de l’aller. Ce n’est qu’une dizaine de km, surplombant l’aérodrome, mais c’est long, interminable, je n’avance « plus »…
Le retour sur Embrun, par la route de l’aller est tout aussi « long », c’est le mental qui me guide en me disant : tiens le coup, tu arrives bientôt au bout et surtout, tu es toujours « dans les temps ». Effectivement, enfin à Embrun mais là, je sais que plutôt que rentrer au parc à vélos directement, il faut d’abord traverser la ville et aller grimper la fameuse bosse de « Chalvet », un petit crochet de 7 ou 8 km mais avec la moitié en côte et… Sacrément pentu, réputé et craint par tous les triathlètes ! Bref, c’est Chalvet !
Il est un peu plus de 16h15 (8h44’ pour les 188km) quand je pose enfin mon vélo à sa place dans le parc. Soulagement, j’ai environ une heure d’avance sur le temps éliminatoire et surtout, je suis relativement « frais et dispo », j’ai bien géré. Il faut dire au passage qu’il y a de nombreux spectateurs sur le parcours, que ce sera encore la même chose sur le marathon, et bien sûr, ça aide, merci. J’entends les speakers annoncer l’arrivée du vainqueur, un certain Cyrille Neveu, champion du monde longue distance en titre (maintenant organisateur du triathlon de l’Alpe d’huez depuis 2006)…
Une gentille masseuse vient me proposer ses services (à Embrun, c’est de mise). Ok pour une petite friction sur les cuisses et les mollets, elle me dit d’ailleurs : « super, tu as les muscles encore très souples, tu vas courir sans problème ». Ces mots me résonnent dans la tête encore aujourd’hui… Deuxième transition « pépère » (en 9’44) et je me dis : cette fois, la deuxième épreuve est terminée, acte 2 : gagné aussi !
Là, le mental remonte (si besoin était) en flèche car pour moi, c’est sûr, rien ne m’arrêtera, ce maillot de finisher EmbrunMan tant convoité dans le milieu du triathlon, je l’aurai sur les épaules, il sera à moi !
Je m’élance donc sur le marathon en sachant qu’il me suffit de gérer, tranquillement, du moins jusqu’au semi où là encore, il y a une barrière horaire éliminatoire. Dont acte, je trottine, la chaleur commence à peser fortement en ce milieu d’après-midi… Un premier tour du lac puis c’est la difficile montée dans la ville d’Embrun… Comment ne pas marcher tellement ça grimpe dur, je fais l’effort… La traversée de la ville dans la voie piétonne, rue principale commerçante, est tout simplement géniale. Énormément de monde, des terrasses de café où les attablés t’applaudissent et t’encouragent, la photographe officielle de l’organisation en haut de la rue qui te cadre plein écran et qui te crie « Je t’ai super bien cadré, elle sera très belle ! » (C’est celle qui figure ci-dessous), effectivement, bien vu !), quoi de mieux tout ça pour oublier que j’ai le cardio qui tape quand même depuis 6 heures du mat, soit environ déjà 11 heures d’efforts et que, malgré tout, j’ai quand même les pattes de derrière qui accusent le coup !
Descente vers la Durance et aller-retour sur la digue, là, c’est long, réputé aussi pour ça. Au demi-tour, là où il y a un tapis de chrono (contrôle du passage), un des bénévoles, en m’identifiant avec mon numéro de dossard, me dit qu’il connaît Nouâtre ! Mais je n’en doute pas mon cher monsieur… Pour le remercier, je fais deux fois le tour du plot en rigolant avec lui.
Long retour vers Embrun via le village de Barratier et les campings qui bordent la route, je m’arrête à tous les ravitaillements et remercie tous les bénévoles et les spectateurs avec un ptit mot sympa. Je suis encore très lucide. Nouveau tour du plan d’eau dans l’autre sens nouveau passage par le site le long du parc à vélos et c’est reparti pour la deuxième boucle, la même. Cette fois, je sais que c’est bon, que plus rien ne peut me stopper. Il s’en suit un léger manque de motivation, juste l’envie de finir en léger footing, j’ai tout débranché, le chrono final m’importe peu, et même pas du tout. J’accuse pas mal de coups de moins bien, c’est dur, quand même… Le jour commence à tomber, il fait moins chaud mais bien sombre quand je regagne pour la dernière fois le plan d’eau, me reste (juste) un tour à faire pour rejoindre et franchir cette fameuse finishline (comme disent nos amis British). Marathon couru en 5h32’, le tout en 16h05’, classé 782ème. Deux ans plus tard en 2005, je bouclerai le tout en 14h59’ (à la 532ème place), plus d’une heure et pile 250 places de gagnées !
Eh bien voilà, c’est chose faite… On me remet ce sacré tee-shirt de finisher tant attendu, je rentre dans le parc à vélo et pose mon cul sur la chaise. Ouf, je suis EmbrunMan, acte 3 et dernier : GAGNÉ !
Plus trop de souvenirs après… Je range mes affaires et retourne au camping. Il reste encore des vélos dans le parc, signe que leurs propriétaires ne sont pas encore arrivés, certains hélas seront disqualifiés, hors délais… Une douche et je reviens sur la ligne pour accueillir les derniers puis, c’est le traditionnel feu d’artifice qui clôture la journée… Et quelle journée !
Comme je le dis souvent en plaisantant : à Embrun, tu pars de nuit, tu rentres de nuit et, entre temps, t'as même pas vu le jour !
Deux jours plus tard, je prends le chemin du retour en Touraine… Eh oui, il faut bien que je bosse un peu (voire beaucoup) pour avoir des congés (et du fric) pour me permettre ça ! Un seul cliché me reste, une fois passée la ville de Gap, en train de rouler : je me dis (encore et encore) ça y est, tu l’as fait, tu es un « IronMan », à Embrun ! En fait, oui, je suis fier, tout simplement.
Comment ça... Vous êtes venus jusque là ? Bravo , vous pouvez être fiers de vous, quelle persévérance ! Allez , pour vous remercier, en cadeau, je vous offre le prochain récit, entièrement gratuit ! Non, non, ne me remerciez-pas... Savourez !